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Rencontre avec...

Lily Latifi, designer textile

Designer textile, experte dans l’art de sculpter la lumière et de structurer l’espace grâce à la matière, Lily Latifi entretient une relation intense et exigeante avec celle-ci. Surtout ne lui dites pas que ses créations sont des éléments de décor !

 

Pour elle, le design textile, c’est bien plus que cela...

LES REVELATRICES :

Lily Latifi... Votre nom est déjà un voyage. D’où venez-vous ?

LILY LATIFI :
Je suis née et j’ai grandi en Iran, pays où le soleil est omni présent. En été on s’en protège, en hiver on l’apprécie.
Au fil des saisons, on laisse entrer la lumière dans les maisons, de façon régulée dans un jeu permanent d’ombre et de lumière.

Remontons le temps. Quels premiers souvenirs vous lient au textile ?
Justement celui de l’habillage des fenêtres. 

Ce que l’on appelle communément des « rideaux » et que personnellement j’ai toujours trouvé disgracieux...

Là-bas, les fenêtres ne sont jamais nues parce qu’il faut gérer la lumière, la chaleur et aussi se protéger des regards. Le textile créé une frontière poreuse entre le dedans et le dehors, une protection dont il tisse les contours.
Ce rapport particulier à la lumière et à l’intime, constitue certainement la part Iranienne qui différencie mon travail et l’imprègne.

Votre décision de travailler le textile était donc une évidence ?
En fait, ce qui m’a toujours attiré ce sont les arts appliqués. L’idée de pouvoir rendre l’usuel, l’objet du quotidien, beau et fonctionnel à la fois. Également le désir de toucher la matière, d’avoir les mains « dedans ». En m’inscrivant à l’Ecole Duperré, j’ai eu le choix entre les sections Mosaïque ou Textile. Sans hésitation, c’est pour cette dernière que j’ai optée. Par « textile », j’entends matériau souple, malléable, tactile, et j’y inclus même le papier !

Votre formation a-t-elle contraint ou orienté le choix de votre médium ?
J’ai eu l’immense chance d’avoir une enseignante, Françoise Mamert, qui en plus de la recherche plastique favorisait celle de notre vocabulaire artistique personnel. Implicitement, nous étions autorisés à faire notre « cuisine » en utilisant tous les médiums. Imaginez : dans notre section textile, certains ont même pu explorer le verre soufflé ou la céramique ! C’était dans les années 90...  je ne sais pas si ce serait encore possible aujourd’hui. En tout cas, cela m’a permis de trouver ma propre expression et de sortir de l’école avec l’idée de créer mon studio.


Le compliment qui vous touche le plus ?
Que les hommes soient aussi sensibles à mon travail que les femmes constitue pour moi le plus beau des compliments. Et de façon générale, lorsque des clients m’appellent pour me dire le bonheur qu’ils ont à vivre avec mes créations. Combien grâce à leur interaction avec la lumière extérieure, ils ressentent, au cœur de leur maison, les saisons, les heures du jour et de la nuit.

La réflexion qui vous agace le plus ?
Que le textile soit cantonné à son côté déco, dans le vêtement ou l’habitat. Qu’il ne soit pas considéré comme un matériau à part entière, au même titre que le verre ou le béton, mais seulement comme un « papier cadeau » utilisé pour emballer les gens ou les objets.

Personnellement, j’aborde un projet de design textile par son axe technique, par la réponse qu’il apporte à une problématique de structuration de l’espace, de protection des regards, par la nécessité de confort acoustique et thermique...

Que mes produits soient esthétiques, pour moi c’est normal, simplement indissociable de mon approche créative. Cependant, en aucun cas mon travail ne se réduit à être « joli ».

 

A-t-on un jour fini d’explorer la matière que l’on travaille au quotidien ? Restez-vous en quête à la recherche ?

Les textiles sélectionnés pour mes différentes collections et modèles sont le résultat de vingt années d’expérience. Chacun a été choisi pour ses caractéristiques à la fois techniques et esthétiques.
En réalité, il est compliqué d’enrichir la gamme, tant les normes exigées dans le bâtiment sont strictes. Après, mes créations pouvant se décliner à l’infini par le travail des dessins, ou l’utilisation des couleurs, je ne ressens aucune frustration. Cela étant, je rêve par exemple d’une tarlatane M1 et lavable. La combinaison de ces deux caractéristiques reste à mettre ou point. Et moi, je reste en veille !


Avez-vous eu des modèles ou des inspirateurs ?

De bonne heure, deux chocs esthétiques m’ont indirectement conduit à ce que je fais à présent... Tout d’abord adolescente, j’ai découvert le mot « médiocrité » en voyant « Amadeus », film de Milos Forman. Jusque-là, je connaissais les contraires comme le bien et le mal, la richesse et la pauvreté, mais pas l’entre-deux. Dans sa rivalité avec Mozart, le personnage du compositeur Salieri souffre d’un sentiment de médiocrité qui va le consumer. Je me suis promis de me donner les moyens de fuir cet état et ses effets néfastes.
Plus tard, étudiante et intéressée par toutes les formes de musique, j’étais très admirative du travail de Peter Gabriel. Un homme prêt à engager vie personnelle et vie professionnelle pour l’accomplissement de son idéal : la world music.
Ces deux « rencontres » m’ont ouvert des mondes, des directions possibles.

Et aujourd’hui ?

Je continue à admirer les artistes qui produisent des œuvres personnelles au point d’être inimitables et indémodables. C'est très important d'avoir un regard toujours neuf sur le monde qui nous entoure. De partir de petites choses de la vie et de les regarder à travers un prisme inattendu. 

En ce sens, j'ai plus de références dans le monde de la danse contemporaine et du spectacle : Ohad Naharin, Aurélien Bory et sa compagnie 111, Yoann Bourgeois, Camille Boitel...
C’est ce que j'espère faire à mon niveau : traduire mon monde intérieur à travers ma façon de travailler la matière textile, sans forcément me soucier des modes et des tendances. Être fidèle à ce que l’on a à dire... Une façon, peut-être, d’être intemporel ?


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Merci à Lily Latifi pour sa confiance et le temps qu’elle nous a accordés ainsi qu’à Bernard Taboureau pour les photographies.

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